Le statut des gérants non-salariés auquel recours la société CASINO pour son réseau de supérettes a été créé par un décret-loi du 3 juillet 1944 signé par Pierre LAVAL resté en vigueur, texte ayant modifié une loi fondatrice de VICHY du 21 mars 1941 portant création d’un statut dérogatoire des gérants non salariés de succursales de maisons d’alimentation de détail.
La Loi de 1941 avait exclu ces gérants de toutes les règles sociales, le décret-loi du 3 juillet 1944 a maintenu ce principe en accordant par exception le bénéfice de certains avantages.
Les gérants sont rémunérés par une commission sur les ventes et bénéficient d’un minimum mensuel garanti par des accords collectifs du 18 juin 1963. Il s’agit très souvent de supérettes exploitées par un couple de gérants.
Ils doivent être libres de leur gestion, dès lors qu’en leur qualité de non salarié, la société mandante n’est pas en droit d’exercer un lien de subordination.
Si ce principe est respecté, le temps de travail des gérants n’est pas rémunéré autrement que par la commission sur les ventes.
En revanche, si la société a exercé un lien de subordination illicite, lequel se caractérise par le fait de donner des ordres, d’en contrôler l’exécution, et de sanctionner les manquements, les Juges peuvent requalifier le contrat en salariat.
Dans ce cas, la rémunération du temps de travail incluant les heures supplémentaires majorées et le repos compensateur est due, sous déduction des commissions initialement versées.
Si les heures de travail sont importantes, comme c’est souvent le cas dans le commerce, un tel rappel peut porter sur des sommes importantes.
En l’espèce, la société imposait les horaires d’ouverture aux gérants par le biais de nombreuses contraintes contrôlées sur place par les managers, et avait refusé toute diminution de ceux-ci sous menace de sanction.
Les conditions de gestion faisaient également l’objet d’un contrôle strict assorti de menaces de rupture contractuelle en cas de manquements.
La COUR D’APPEL de CAEN, sur la base de ces éléments, a constaté l’exercice d’un lien de subordination par la société CASINO, et a requalifié la relation en contrat de travail salarié.
La COUR prononce la résiliation judicaire du contrat aux torts exclusifs de la société, et accorde aux gérants des dommages et intérêts à hauteur de 2 X 60 000 €.
Elle condamne en outre la société à verser aux gérants des rappels de salaires sur les 5 années antérieures, pour des montants cumulés de 255 000 €.
C’est donc une avancée majeure pour la défense des droits des gérants non-salariés de nature à fixer des limites qui ne permettent pas à la société de s’affranchir de la liberté de gestion statutaire des gérants, et d’exercer un lien de subordination illicite, sous peine de sanctions financières importantes.
Le gérant doit rester libre de ses conditions de travail.
JEAN-CHRISTOPHE BONFILS
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