En raison de la pandémie de la maladie dite “covid-19”, par décret N° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19, le gouvernement a interdit, par principe, « le déplacement de toute personne hors de son domicile », en prévoyant des exceptions devant être justifiées par une attestation de déplacement dérogatoire, initialement jusqu’au 31 mars 2020. Une répression importante sur des fondements aléatoires, tels que l’analyse des paniers de courses par la police au regard du critère de « première nécessité », s’est mise en place, allant jusqu’à verbaliser une dame venant faire signe à son époux derrière la vitre d’un EHPAD.
Le Parlement a adopté ensuite la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie.
Il a inséré dans le code de la santé publique des dispositions créant un “état d’urgence sanitaire”, aussitôt déclaré pour une durée de deux mois, jusqu’au 24 mai 2020.
Le “confinement” a été finalement prolongé jusqu’au 11 mai 2020, soit presque deux mois d’enfermement et de mise à l’arrêt de l’économie. La loi du 23 mars 2020 a, d’autre part, habilité le Gouvernement à prendre, par ordonnances, certaines mesures relevant de la loi.
Par ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale, le Gouvernement a prévu que les délais maximums de détention provisoire étaient augmentés :
de deux mois lorsque la peine encourue est inférieure ou égale à cinq ans ;
de trois mois lorsque la peine encourue est de sept ou dix ans d’emprisonnement ;
de six mois en matière criminelle et, en matière correctionnelle, pour les affaires devant la cour d’appel.
La circulaire du 26 mars 2020 énonce que « ces prolongations s’appliquent de plein droit, donc sans qu’il soit nécessaire de prendre une décision …. Elles continueront par ailleurs de s’appliquer après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire » Pour la matière civile, le Gouvernement a pris une ordonnance du 25 mars 2020 permettant également :
De rejeter une demande en référé « par ordonnance non contradictoire, si la demande est irrecevable ou s’il n’y a pas lieu à référé ».
Les mesures d’assistance éducative sont prises par « décisions motivées et sans audition des parties ».
C’est à dire la possibilité de rendre des décisions, non pas après avoir reçu les observations écrites des parties, ce qui aurait suffit, mais sans aucun échange d’aucune sorte.
Ces choix conduisent à un affaiblissement massif de l’État de droit. Ils ont mis fin à une idée prégnante dans les démocraties occidentales après la seconde guerre mondiale, selon laquelle les libertés fondamentales ne pourraient plus être bafouées.
Ce choix de l’arbitraire et de l’autoritaire a pallié l’imprévoyance et l’inconséquence, mais ne s’imposait pas pour vaincre la pandémie en matière de justice, d’autres procédés plus respectueux des droits fondamentaux pouvaient parfaitement atteindre les mêmes objectifs de distanciation des personnes.
Dès le début du mois de mars, la Haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations-Unies, Madame Michelle Bachelet, avait rappelé que le sacrifice de nos droits et libertés ne nous aiderait pas à résoudre la crise sanitaire.
S’agissant du fonctionnement de la Justice, alors que l’institution bénéficie d’une messagerie électronique sécurisée avec les Avocats et d’un système national de Visio conférence qui devait permettre de rendre des décisions à distance, sous réserve de transformer momentanément les procédures orales en procédure écrite, ce qui n’était pas très compliqué, la chancellerie a préféré tout arrêter en bafouant les droits fondamentaux.
Sur un plan technique, alors que la Justice était particulièrement bien équipée pour le télé travail, ce choix d’un arrêt brutal ne manque pas d’étonner.
Ce qui est très grave, ce sont les atteintes considérables à des libertés fondamentales, sans même susciter de protestations immédiates tant le traitement public et médiatique de l’épidémie a tendu, après l’avoir minimisé, à effrayer la population par un virage à 180 °.
Les principes si essentiels de dignité humaine, et de droit à la vie, ont été honteusement bafoués dans les EHPAD ; les personnes improductives ont été manifestement sacrifiées. Des comités d’éthiques ont été créés et chargés dans les hôpitaux de dire si telle personne âgée pouvait bénéficier d’un respirateur artificiel, ou non.
Les délais de détention provisoire ont été augmentés scandaleusement, alors que cette catégorie de détenus concerne ceux qui sont présumés innocents, et qu’un juge pouvait parfaitement statuer à distance, il suffisait de rendre la procédure écrite le temps de l’urgence sanitaire. Ce qui aurait été toujours mieux que de supprimer l’audience.
Que tout un chacun se résigne à géo localiser les gens pour surveiller leurs moindres faits et gestes, avertir la population qu’un pestiféré les approche, est étonnant et rappelle que le vernis de la civilisation reste très fragile.
Comme si des services de renseignements ne pouvaient pas avoir accès à toutes les informations, comme s’ils ne pouvaient pas en faire un usage détourné, comme si la fuite des données secrètes n’existait pas, comme si le piratage informatique n’était pas possible …
Et surtout, il faudrait abandonner nos libertés les plus précieuses à un État qui n’est même pas en mesure de fournir à sa population les éléments nécessaires au traitement véritablement sanitaire de l’épidémie, des tests, des masques, des soins.
Plus que jamais, la dérive autoritaire des institutions doit interpeler les consciences, car ce qui a été fait une fois, risque de se répéter.
Cela n’est pas acceptable car il était assez simple, en matière de Justice, de faire beaucoup mieux.
Jean-Christophe BONFILS
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Illustration sur cette page : Justice Vecteurs par Vecteezy et CDC/ Alissa Eckert, MS ; Dan Higgins, MAMS