À propos de l’article 712-14 du Code de Procédure Pénale, chronique d’une injustice...
Tous les discours officiels sont unanimes : il faut développer les aménagements de peines pour les condamnés en fin de détention, afin de les accompagner et éviter les « sorties sèches ».
Pourtant, tous les Parquets de France s’opposent de manière quasi systématique à toute demande de libération conditionnelle, ou de semi-liberté.
Même le Législateur applique le principe dégagé par Machiavel : afficher un but, mais en poursuivre un autre.
Le parfait exemple de ce constat ressort de la lecture des termes de l’article 712-14 du Code de Procédure Pénale :
« Les décisions du juge de l’Application des Peines sont exécutoires par provision ».
Traduisez : Si le détenu forme une demande de libération conditionnelle, avec une promesse d’embauche chez un employeur pour le mois suivant, et que cette demande lui est refusée par le Juge de l’Application des Peines, il peut faire appel dans un délai de 10 jours.
Toutefois, son appel ne sera pas suspensif, et ne lui permettra donc pas d’obtenir sa libération en attendant que la Cour d’Appel tranche.
Parallèlement, l’alinéa 2 de l’article 712-14 vient préciser que :
« Toutefois, lorsque l’appel du Ministère Public est formé dans les 24 heures, il suspend l’exécution de la décision jusqu’à ce que la chambre de l’application des peines de la Cour d’Appel ou son Président ait statué. L’affaire doit être examinée au plus tard dans les deux mois suivant l’appel du Parquet, faute de quoi celui-ci est non avenu. »
Traduisez : lorsque le Procureur fait appel, c’est parce que l’aménagement de peine a été accordé, mais que le Parquet n’est pas d’accord. En application de l’exécution provisoire de principe, le condamné devrait être libéré en attendant que la Cour statue.
Et bien non : si le Parquet fait son appel immédiatement, ceci « suspend l’exécution de la décision jusqu’à… ».
Traduisez : le condamné reste au trou, malgré la décision favorable du Juge de l’Application des Peines, jusqu’à ce que la Cour d’Appel tranche.
Alors que la réciproque n’est pas vraie, si c’est le condamné qui fait appel dans les 24 heures, cela ne suspend pas la décision de refus.
C’est la « philosophie du trou prioritaire », contrairement à toutes les déclarations officielles d’intentions.
Au delà du principe qui est choquant, le problème est que cela donne en pratique au Parquet le moyen imparable de faire tomber la plupart des aménagements de peines.
En effet, alors que le condamné doit avoir obtenu une promesse d’embauche pour faire sa demande, il lui est en pratique impossible d’en obtenir une auprès d’un employeur plus de 6 mois à l’avance, voir 4 mois.
Comme les délais d’audiencement entre la demande du condamné et la décision du Juge de l’Application des Peines sont de l’ordre de 4 à 5 mois en moyenne, délibéré compris (le Juge met toujours sa décision en délibéré après l’audience, en général 15 jours après), le condamné se trouve titulaire d’une promesse d’embauche valable en général dans le mois qui suit le Jugement du Juge de 1ère instance, voir très souvent dans les 15 jours.
Si le Juge de l’Application des Peines fait droit à la demande d’aménagement de peines présentée par le détenu, et que le Parquet fait appel dans les 24 heures, ce qui est quasiment toujours le cas en pareille hypothèse, le condamné reste en prison jusqu’à l’arrêt de la COUR D’APPEL, soit pendant les deux mois qui le sépare de cette nouvelle audience.
L’encombrement des Chambres de l’Application des peines des COUR D’APPEL est tel, que ces juridictions ne sont jamais en mesure de statuer très rapidement, le délai de 2 mois (maximum légal) est respecté de justesse.
Lorsque la COUR D’APPEL statue, la promesse d’embauche est désormais « périmée » car sa date est dépassée, et n’est donc plus valable : c’est un rejet d’office très fréquent, de par ce seul motif.
Goliath terrasse David trop facilement.
Sans compter que ce mécanisme semble contraire à l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, qui reconnaît le droit à une procédure équitable.
Le caractère équitable de la procédure implique, selon une jurisprudence constante de la COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME, le respect du principe de l’égalité des armes, notamment dans l’exercice des voies de recours entre le mis en cause et le Parquet, ceci aux termes notamment d’un arrêt qui a déjà condamné la France en matière de voies de recours :
« La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, le principe de l’égalité des armes – l’un des éléments de la notion plus large de procès équitable – requiert que chaque partie se voie offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire (voir, parmi d’autres, De Haes et Gijsels c. Belgique, arrêt du 24 février 1997, Recueil 1997-I, p. 238, § 53, et Guigue et SGEN-CFDT). » CEDH 22 mai 2008, AFFAIRE GACON c. France (Requête no 1092/04)..
Le mis en cause, le mis en examen, le prévenu ou le condamné ne doivent donc pas être placés par la procédure « dans une situation de net désavantage » par rapport au Parquet.
Or nous sommes bien en l’espèce dans une position de « net désavantage » puisque l’appel du Parquet est suspensif, alors que celui du condamné ne l’est pas.
Concrètement, cette distinction a pour effet d’anéantir en appel de façon très fréquente des aménagements de peines accordés en 1ère instance, par le seul jeu de cette règle inique dont le résultat n’a pour unique bénéficiaire que le Parquet.
Il est urgent de rétablir une égalité de procédure à cet égard, sans attendre que la France soit à nouveau condamnée par la Cour de Strasbourg.
Jean-Christophe BONFILS
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